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C'est grave, Docteur ??

Les votes du FN expriment un trouble de civilisation

LE MONDE | 13.06.2012 à 14h21 • Mis à jour le 13.06.2012 à 14h21

Par Virginie

 

 

 Martin, politologue , Pierre Lénel, sociologue

  

Ainsi 13,6 % des suffrages exprimés au premier tour des élections législatives du dimanche 10 juin, 17,9 % au premier tour de l'élection présidentielle : ce sont les derniers résultats obtenus par Marine Le Pen et le Front national (FN). Ces scores placent le FN en troisième place dans le paysage politique français. La pérennité et l'extension du vote FN à ces deux élections - présidentielle et législatives - sont à nouveau l'occasion de multiples interprétations des causes et raisons de ce vote. Il faut à nouveau répéter l'évidence : le FN fait bien partie de notre environnement politique. Mais accepter aussi que, depuis maintenant de nombreuses années, des analyses mettent en évidence les déterminants de ce vote en évoquant un vote protestataire ; il est peut-être temps d'y reconnaître un vote d'adhésion. Adhésion à quoi ?

Le plus petit dénominateur commun - point partagé entre tous ceux, nantis ou démunis, jeunes ou plus âgés, urbains ou ruraux, qui ont accordé leur suffrage à Marine Le Pen -, nous proposons de l'appeler "trouble civilisationnel".

 

Ce trouble met en avant une lecture du monde qui révèle une hostilité au pluralisme culturel sur le plan intérieur et le refus du multiculturalisme sur le plan international. Ce trouble est structuré autour d'une inquiétude liée à la crainte qu'un modèle de civilisation, une culture ne prenne de l'ampleur en France. Ces électeurs sont troublés par des marqueurs culturels et/ou cultuels dans lesquels ils ne parviennent pas, disent-ils, à reconnaître l'idée qu'ils se font de leur identité (dont l'identité française est un des constituants).

 

Ce trouble se cristallise plus particulièrement autour de quatre points. La nationalité en constitue le premier marqueur : les Français d'origine immigrée ne sont pas vus comme "légitimes", leur nationalité française serait usurpée. Cette illégitimité vient s'appuyer sur la question culturelle, et bien souvent spécifiquement cultuelle. C'est le deuxième élément : une relation négative s'instaure entre signes du métissage et identité française. "Nous" s'oppose à "eux", la différence trouve là son expression la plus criante : "eux" ont une autre histoire, que celle qui "nous" constituerait de tout temps.

 

Ce trouble est aujourd'hui, élément nouveau par rapport à nos enquêtes de la fin des années 1990, relié aux événements de la scène internationale : le monde arabo-musulman apparaît comme dangereux à bien des égards - droits des femmes, violence, fermeture... Et c'est bien souvent à cette aune que la question sécuritaire est réinterprétée : incivisme, insécurité, tensions internationales ; tous ces éléments se confondent dans la figure de l'immigré, présence ici de cet ailleurs arabo-musulman qui apparaît comme diabolique.

 

Enfin, l'élément le plus prégnant est celui du sentiment d'un rapport de forces devenu défavorable entre les Français d'origine maghrébine et les Français "de souche" : l'idée d'un effet de nombre produit un sentiment de colonisation inversée.

 

Quoi qu'on pense de ces représentations, elles attestent une réalité : la France est dans le monde, mais le monde est aussi dans la France. Face à ce trouble il faut apporter des réponses adéquates qui excèdent les réponses classiques : "blanchir" les Français d'origine immigrée ne peut constituer la réponse d'une France mondialisée.

 

La France ne peut être métisse sans les signes du métissage. L'intégration à la française a vécu, et il est urgent d'en prendre acte. Il faut au contraire explorer les voies d'un multiculturalisme à la française, en s'appuyant sur les travaux de tous ceux qui, sans renoncer à une conception de l'universel, veulent hisser la France au niveau de son histoire rêvée.

 

Virginie Martin et Pierre Lénel travaillent pour le think tank Le Laboratoire politique

Virginie Martin, politologue , Pierre Lénel, sociologue

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